the world will never get rid of bards. (corvus)

La guerre ;
elle change nos familles,
consume les êtres aimés,
abat nos idéaux.
La guerre, la guerre,
elle craint la paix,
elle exècre le bonheur,
elle maudit ces moments tant chéris ;
pour les réduire à néant !
Craignez, craignez ;
la guerre boise le feu de la haine
la guerre pille, la guerre ment,
la guerre ne gagnera guère.

Je me souviens de cette chanson comme si je l'avais chantée hier. C'était celle que j'avais fait retentir à Zandor, le jour de mon vingtième anniversaire. Parce que la guerre, elle nous a tous marqué, au point où personne ne s'attendait à voir l'armistice arriver. Durant cette période de guerre où les espoirs, qu'importe leur forme, étaient mit à feu et à sang, je défendais la paix et ses idéaux. Je faisais retentir ma voix pour que tout le monde l'entende. À Zandor, il n'y avait que le dernier vers qu'on répétait ; La guerre ne gagnera guère. Il était réutilisé dans des chansons, dans des écrits, raconté, déformé, remit au goût du jour, sauf que personne ne pouvait imiter la voix du barde qui l'avait initialement chantée. C'est bien la seule chose dont je suis fier, aujourd'hui.

Ça fait un an que l'armistice a été signée. Un an que j'essaye de chanter pour promouvoir cet acte de paix qui est bénéfique pour notre petit pays, mais également pour les autres. Parce que la guerre, comme je le disais à cet âge-là, a bien failli tous nous tuer et nous réduire à néant. J'aurais pu être heureux, à vrai dire. Je l'ai été. Syndi ; qu'elle s'appelait. Une merveilleuse femme comme j'en ai peu connues. Elle venait d'ailleurs. Et cette femme, comme j'aimais le dire dans certains de mes poèmes, était la plus belles de toutes les créatures. Mais je n'ai pas envie de m'en souvenir. Pas aujourd'hui, pas demain. Sa disparition, même des années après, me marque toujours autant. Comme si c'était le premier jour. Avant de partir, elle m'a donné deux merveilleux enfants, que je peux chérir, et aimer. Ils ont grandi. Je les ai laissés vivre comme ils l'entendaient.

Il y a des choses qu'on a vues, entendues, qu'on ne peut plus oublier. La guerre reste présente dans nos mémoires et dans nos cœurs comme une plaie béante suturée qui peine à se refermer. J'ai vu des amis perdre femme, enfants, parce qu'ils étaient faibles. Pas assez puissants pour survivre. J'ai entendu des étrangers crier, appeler à l'aide, parce qu'ils n'avaient plus rien. J'aurais pu y passer, moi aussi. J'ai survécu, comme beaucoup d'autres. Mais ceux-là, maintenant, ils vivent au ralenti. Si lents qu'ils en oublient la notion du temps.

Si j'ai survécu, c'est bien parce que j'avais de l'argent. La famille Chamberlain était réputée, à l'époque où je suis né, pour fabriquer des instruments de qualité. J'étais le cadet d'une famille de trois enfants ; et quand je suis parti, elle s'est écroulée d'elle-même, avant de disparaître sous la funeste mélodie des coups de canon et des épées qui s'entrechoquaient. J'ai hérité d'une grosse partie de la fortune de la famille, et je suis parti. Parti loin. Découvrir de nouveaux horizons. Je n'étais pas parti les mains vides, parce que l'éducation que j'ai reçue m'a aidé dans la voie que je devais suivre. La chanson. La musique. Divertir le peuple pour lui faire oublier la situation actuelle. Consoler le peuple qui perdait sans arrêt des êtres chers.

Aujourd'hui, je ne suis rien de plus qu'un vieil homme qui cherche à parcourir le monde dans l'espoir de toucher les gens avec ce que je peux raconter. Des épopées de héros au noms inconnus, des histoires grandioses qui feront rêver les enfants. J'ai pourtant bien d'autres choses à faire, avant de parcourir les terres de ce continent si longtemps ravagé par les luttes armées. Je reste à Zandor, quelques temps, et après je m'en irais. Où – je ne sais pas vraiment.

Il n'y a que l'avenir qui me le dira.

Crains, crains, vile guerre,
la paix arrive, les treize nations s'unissent
l'armistice mettra les armes à terre.